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19 octobre 2006 4 19 /10 /octobre /2006 14:59

Groupe de Réflexion et d’Échanges sur la Mauritanie

 

Rencontre du Jeudi 22 mars 2001 sur la Passif humanitaire en Mauritanie

 

Communication de Moctar Touré

 

Les pistes de réflexion en vue du règlement du passif humanitaire en Mauritanie.

 

Le travail de réflexion en vue du règlement du passif humanitaire en Mauritanie s’articulera autour de deux axes fondamentaux : le judiciaire et le politique.

 

I/ L’axe judiciaire :

 

Le traitement judiciaire du passif humanitaire en Mauritanie bute à deux séries d’obstacles :

 

-Un obstacle interne lié aux fins de non- recevoir que les autorités judiciaires et politiques du pays ont donné aux différents recours et plaintes exercés par les victimes et ayants droit des séries de pogroms ayant frappé durement la communauté négro-mauritanienne de 1986 à 1992.Ce refus d’entendre les victimes et de leur rendre justice est rendu définitif par le vote d’une ordonnance d’amnistie en 1993 par un parlement monocolore et aux ordres du pouvoir exécutif.

 

-Un obstacle externe lié à l’inadaptation des institutions judiciaires internationales pour connaître des séries de violations de droits de l’Homme intervenues en Mauritanie du milieu des années 1980 à nos jours.

 

En effet, non seulement ces institutions judiciaires internationales ont une compétence matérielle limitée aux trois ou quatre des infractions internationales les plus graves (ce qui est loin d’être négligeable !), elles sont soit circonscrites à un territoire bien délimité (cas des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda), soit leur compétence temporelle ne leur permet pas de prendre en charge les cas de violations intervenues avant leur entrée en vigueur ( cas de la cour pénale internationale qui ne sera fonctionnelle qu’après le dépôt du soixantième instrument de ratification-on en est à ce jour à la moitié du chiffre).

 

Ces Considérations faites, il importe maintenant de voir par le jeu de la compétence universelle comment mettre en œuvre la responsabilité des auteurs et/ou complices des actes incriminés en Mauritanie.

 

La compétence universelle qui permet à chaque État d’attraire devant ses tribunaux des personnes accusées d’infractions graves susceptibles de heurter la conscience humaine peut être recherchée à travers différents instruments internationaux ;à côté de cette conception théorique, la compétence universelle peut aussi être recherchée à travers quelques exemples de pratique jurisprudentielle.

 

A/ La conception théorique de la compétence universelle :

 

Il existe une conception large de la compétence universelle qui considère comme appartenant au droit coutumier international et par conséquent dépassant largement le cadre conventionnel, les conventions de Genève du 12 août 1949, la convention IV de la HAYE et les règlements concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre de 1907, la convention du 9 décembre de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide et le statut du tribunal militaire de Nuremberg du 8 août 1945.

 

Cette conception est renforcée pour ce qui concerne la prévention sur le génocide par l’avis de la cour internationale de justice du 25 mai 1951 qui dit : " les principes qui sont à la base de la convention sont des principes reconnus comme obligeant les États, même en dehors de tout lien conventionnel ".

 

Toutefois, au-delà de l’appartenance de ces différents instruments à la famille des règles qui obligent en dehors de tout engagement juridique, il est plus prudent de restreindre le champ de la compétence universelle aux quatre conventions de Genève de 1949 et à la convention de New York du 10 décembre 1984 sur la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants qui prévoient des mécanismes de compétence et/ou d’extradition vers des États dont les tribunaux se déclarent compétents.

 

La mise en œuvre de la compétence universelle au travers de ces derniers instruments peut nécessiter le recours à un critère de territorialité, en l’occurrence la présence de l’accusé sur le territoire de l’État poursuivant (critère posé par la convention de New York qui ne s’oppose par ailleurs pas à ce que la législation d’un État partie prévoit une compétence plus élargie).

 

L’expérience jurisprudentielle de ces dernières années donne un résultat très mitigé de la mise en œuvre de la compétence universelle qui n’est admise qu’au cas par cas.

 

B/ L’expérience de la compétence universelle :

 

Un panorama de quelques affaires administratives et judiciaires permet de rendre compte de l’évolution de la notion de compétence universelle telle est perçue dans différents États ; cette reconnaissance prend différentes formes :

 

-Elle s’exprime de façon implicite au travers de l’arrêt d’expulsion de M. Léo Mugsera pour participation au génocide rwandais par la section d’appel de la section de l’immigration canadienne le 6 novembre 1998 ; elle s’exprime aussi de façon plus précise à travers la décision d’extradition de Pinochet vers l’Espagne le 9 décembre 1998 qui sera confirmée le 24 mars 1999 avec une limitation de la compétence aux crimes commis après 1989.

 

-En Suisse, le 30 avril 1999, la compétence universelle s’est exprimée aux dépens du rwandais Fulgeno Niyonteze condamné à perpétuité par un tribunal militaire pour violations graves des conventions de Genève et assassinat.

 

-Dans le cadre des activités des tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’ex- Yougoslavie ( émanations du Conseil de sécurité), la mise en œuvre de la compétence universelle a permis le 3 septembre 1998 la condamnation à perpétuité de M. Akayesu, bourgmestre à Taba, pour crime de génocide et l’inculpation le 22 avril 1999 d’un président en exercice, M. Slobodan Milosevic.

 

-En France, l’exercice de la compétence universelle connaît des applications parcimonieuses :sur la base de la convention de New York intégrée au droit français depuis le 1er mars 1994 ( Art. 221 et s. C.P et 689 et s. C.P.P), les tribunaux nationaux se déclarent compétents à condition que les auteurs présumés séjournent en France au moment de l’ouverture d’une information judiciaire ; c’est dans ce cadre que le capitaine mauritanien Ely ould Dah sera mis en examen le 3 juillet 1999 par un juge de Montpellier.

 

Sur la base de la loi n° 96/432 du 22 mai 1996 portant intégration du statut du TPR dans le droit français, la chambre d’accusation de paris élargit le 23 juin 1999 les poursuites engagées contre l’abbé Wenceslas Muyeshyaka pour crimes de tortures, aux crimes de génocide et crimes contre l’humanité.

 

Hormis le cas spécifique de cette loi de 1996, les tribunaux en France n’admettent la mise en œuvre de la compétence universelle que sur la base de la seule convention de New York, nonobstant le fait que la France a ratifié un nombre important de conventions ; c’est au motif que les conventions de Genève de 1949 n’ont pas été incorporées dans le corpus juridique français que la chambre d’accusation de Paris va infirmer une ordonnance du 6 mai 1993 qui avait admis le principe de la compétence du juge français.

 

-En Belgique, l’exercice de la compétence universelle est plus large et s’étend aussi bien au crime de torture qu’aux crimes prévus dans le cadre des conventions de Genève ; c’est du moins le sens à donner à l’ouverture d’une information judiciaire contre l’ancien président congolais, M. Laurent Désiré Kabila diligentée par un juge belge.

 

-Au Sénégal, pays signataire de la convention de New York, l’ancien président tchadien, M. Hissein Habré s’est vu inculper le 3 février 2000 de " complicité de tortures " avant de voir cette décision infirmer en appel puis en cassation le 20 mars 2001 pour le motif que la convention précitée n’a pas été incorporée au droit national sénégalais.

 

Ce bref survol de l’exercice de la compétence universelle montre qu’il ya encore du chemin à faire pour traduire dans les faits la lutte contre l’impunité .Aussi, la poursuite judicieuse des violations graves de droits de l’Homme nécessitera une bonne connaissance de certaines règles de procédure propres à certains pays ou à certains systèmes juridiques.

 

C/ Les règles de procédure à connaître pour diligenter des poursuites :

 

Il s’agit en l’occurrence de présenter les systèmes juridiques dans lesquels l’exercice de l’action publique connaît peu ou prou de limitations et où la prescription est soumise à un régime exigeant.

 

-Selon la place qu’ils accordent à l’initiative des particuliers pour déclencher l’action publique, les systèmes juridiques sont classés en système légaliste et en système opportuniste.

 

Les systèmes opportunistes se caractérisant par le rôle prépondérant du parquet dans le déclenchement de l’action publique, ils n’assurent pas aux plaignants la garantie de poursuite de leurs bourreaux ; le parquet étant juge de l’opportunité des poursuites et à ce titre pouvant classer les dossiers sans suite.

 

Les victimes n’ont alors pour seul recours que de porter plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction du ressort.

 

A l’opposé des systèmes opportunistes que symbolisent la France , ses anciennes colonies, la Belgique , les Pays-Bas, le Luxembourg, les cantons romans de la Suisse , l’Angleterre et le Pays de Galles, L’Écosse, l’Islande le Danemark, la Norvège , les USA, le Canada, la Chine , le Japon, l’Israël,…il existe des législations dites légalistes qui consacrent le caractère absolu du droit de poursuite des victimes.

 

Les législations légalistes ont pour pays phare l’Allemagne dont le § 152 St Po dispose : " l’action publique est ouverte chaque fois qu’il existe des faits constituant des indices suffisants d’infraction ".

 

En Espagne, le même principe est consacré par l’article 100 LECRIM qui dispose que : " de tout délit ou contravention, naît une action pénale en vue du châtiment du coupable ".

 

Les autres pays à législations légalistes sont l’Italie qui consacre le principe dans l’article 112 de sa constitution, l’Irlande, la Suède , la Grèce et les pays de l’Europe de l’Est comme la Russie.

 

La connaissance de cette subdivision en législations opportunistes et législations légalistes permet de cibler efficacement les pays où les actions en justice sont plus susceptibles de prospérer ; mais compte tenu de l’élément temps qui affecte le dossier mauritanien, il est judicieux de s’interroger les risques de prescription auxquels il est exposé.

 

-S’il est acquis que le crime de génocide et les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, le crime de torture qui est une infraction autonome, est susceptible de prescription au bout d’un certain délai, s’il ne fait l’objet de poursuites.

 

Ce délai varie selon les pays : en France , la prescription de l’action publique pour les crimes (différente de la prescription de la peine qui représente le double) est de 10 ans après l’infraction ; c’est le cas pour la plupart de ses anciennes colonies dont le Sénégal et la Mauritanie.

 

Ce délai peut être allongé par le jeu des mécanismes de suspension et d’interruption du cours de la prescription .

 

Ailleurs en Espagne, l’infraction la plus grave étant le délit, les délais de prescription varient selon que l’accusé ou le prévenu encoure :

 

-La réclusion mayor (26 à 30 ans) : prescription au bout de 20 ans.

 

-La réclusion menor (12 à 20 ans) : prescription au bout de 15 ans.

 

-Peine supérieure à 6 ans : prescription au bout de 10 ans.

 

-Peine inférieure à 6 ans : prescription au bout de 5 ans.

 

Plus exigeant est le régime de la prescription des pays de la Common Law ( système juridique anglo- saxon) : le principe est l’exclusion de la prescription pour les infractions graves ; la victime garde le droit de poursuivre le délinquant jusqu’à sa mort.

 

Ce système ne connaît de tempérament que le " manquement à la loyauté et à la décence en procédure " qui peut être identifié dans l’attitude d’un plaignant qui attend la mort d’un témoin de la défense pour déclencher l’action publique.

 

Il faut noter toutefois que malgré le caractère absolu du droit de poursuite des victimes dans les pays anglo saxon, la procédure in abstentia est résolument rejetée et les victimes doivent, pour se faire rendre justice, guetter le passage de leurs bourreaux sur le territoire de sa Gracieuse majesté.

 

L’axe judiciaire présente, comme nous le voyons, des signes encourageants, mais des incertitudes réelles demeurent et la compétence universelle n’est pas à l’abri des à coup de l’imperium et des intérêts mercantiles et politiques des États. C’est pourquoi l’exploration de la piste politique s’avère des plus nécessaire.

 

II/ L’Axe politique :

 

La politique étant l’art du vrai, toute solution qui s’en prévaut se doit de tenir compte des réalités sur le terrain.

 

Aujourd’hui le contexte politique mauritanien est celui de la continuité du régime comptable du lourd passif humanitaire et auteur de violations continues des libertés civiles et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels.

 

A ce titre, le règlement du passif humanitaire passe par des actions transversales qui se dérouleront en deux étapes .

 

A/ Les actions immédiates à entreprendre :

 

La gravité du passif humanitaire exige de la part de toutes les organisations politiques, religieuses et de la société civile mauritaniennes un consensus absolu et actif qui dépasse les clivages de quelle que nature que ce soit.

 

Toute alternance qui se présente doit avoir à cœur la résolution du passif humanitaire dans le seul souci de rendre justice et de réconcilier les mauritaniens.

 

Le consensus ci-mentionné devra se traduire par des actions communes en vue de médiatiser comme il se doit le problème des droits de l’Homme en Mauritanie en profitant de toutes les tribunes qui s’offrent aux défenseurs des droits de l’Homme.

 

Obtenir des condamnations politiques et/ou morales des violations graves des droits de l’Homme devra être un des objectifs à rechercher ; à ce jour, la Mauritanie a subi une réprimande de la part de la Commission Africaine des droits de l’Homme et des peuples et obtenir la même condamnation auprès du Comité contre la Torture des Nations Unies serait un encouragement pour les défenseurs des droits de l’Homme en Mauritanie.

 

Par ailleurs, l’action des organisations mauritaniennes devra s’orienter vers la recherche de la prise en charge des victimes des violations graves de droits de l’Homme qui sont abandonnées à elles-mêmes, qui dans des camps de réfugiés au Mali et au Sénégal, qui dans des bidonvilles de la Mauritanie , qui dans la misère de la solitude du veuvage, de " l’orphelinat ", etc.

 

C’est en somme dans la solidarité active que l’attente d’une alternance politique en Mauritanie sera moins pénible à vivre et cette solidarité pourra à coup sûr être crédité sur le compte de la décrispation et de la réconciliation nationale.

 

Quelle mission alors assigner dans le futur aux forces qui assureront l’alternance politique ?

 

B/ Les actions à engager en cas d’alternance politique :

 

Le consensus obtenu autour du passif humanitaire devra, en cas d’alternance politique en Mauritanie, permettre de restaurer l’image des institutions républicaines, notamment celle la justice mauritanienne qui est soumise au diktat de ceux qui sont à la tête de l’Exécutif national.

 

Une des premières taches de la justice nationale devra être de traiter en toute indépendance le lourd dossier du passif humanitaire qui ne devra souffrir d’aucune prescription, étant donné l’impossibilité pour les victimes d’ester en justice durant toute la période de la dictature que nous vivons malheureusement encore.

 

Plusieurs formules sont envisageables dans l’effort de règlement du passif humanitaire (justice et réconciliation, vérité et réconciliation,…) et quelle que soit la formule retenue, trois impératifs doivent être pris en compte :

 

- Le droit pour les victimes à ce que justice leur soit rendue : rendre justice signifiera alors juger les bourreaux selon les lois et conventions en vigueur en Mauritanie en affligeant des sanctions et en réparant les préjudices subis.

 

- Le devoir de mémoire de l’État mauritanien pour honorer la mémoire de toutes les victimes, la reconnaissance officielle dans des manuels d’histoire du caractère odieux des actes qui ont été commis et l’incrimination de tous les actes et comportements négationnistes.

 

- Le devoir de réconciliation qui est une condition de l’avenir de la cohabitation paisible des différents communautés nationales entre elles, passe par le rétablissement progressif de la confiance qui suppose l’élimination de toutes les formes de discrimination, la récompense du mérite et l’impartialité des serviteurs de l’État dans leurs missions quotidiennes.

 

 

 

 Moctar TOURE

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